NATURE 

Les mathématiques dans la nature
Du léopard au tournesol

par Stéphane Durand

On connaît depuis longtemps l'importance des mathématiques dans certains domaines comme la physique, mais depuis peu on la découvre aussi en biologie et en botanique. Des phénomènes que l'on croyait dus au hasard ou à l'action des gènes se révèlent être la conséquence d'une dynamique mathématique. L'exemple peut-être le plus spectaculaire est celui du pelage des animaux.

L'auteur

Stéphane Durand est physicien,
chercheur au Centre de recherches mathématiques de l'Université de Montréal et professeur de physique
au cégep Édouard-Montpetit.

Pour en savoir plus
www.crm.umontreal.ca/math2000.

•www.mcs.surrey.ac.uk/Personal
/R.Knott/Fibonacci/fibnat2.html

Murray, J. D., « Les taches du léopard», Pour la Science, mai 1988, p. 78.

Murray, J. D., Mathematical Biology, Springer-Verlag, 1993, 767 pages.

Douady, S. et Y. Couders,
« La physique des spirales végétales », La Recherche, janvier 1993, p. 26.

Pourquoi le léopard est-il tacheté et le tigre rayé ?

Pourquoi le pelage est-il tacheté pour certains animaux et rayé pour d'autres ? Pourquoi les taches de la girafe sont-elles plus grosses et de forme différente de celles du léopard ? Pourquoi certains animaux, comme la souris et l'éléphant, n'ont-ils pas de motifs ? Pourquoi y a-t-il des animaux à corps tacheté et à queue rayée mais jamais l'inverse, c'est-à-dire à corps rayé et à queue tachetée ?

Toutes ces questions ont aujourd'hui une réponse mathématique. Le modèle décrit la façon dont réagissent et se propagent sur la peau deux produits chimiques différents : un qui colore la peau et un qui ne la colore pas; ou plus précisément, un qui stimule la production de mélanine (colorant la peau justement) et un qui inhibe cette production.

Ce qui est remarquable, c'est que l'équation montre que les différents motifs de pelage dépendent seulement de la grosseur et de la forme de la région où ils se développent. Autrement dit, la même équation de base explique tous les motifs. Mais alors, pourquoi le tigre et le léopard ont-ils des motifs différents puisque leurs corps sont très similaires ? Parce que la formation des motifs ne se produirait pas au même moment durant la croissance de l'embryon. Dans le premier cas, l'embryon serait encore petit et, dans l'autre, il serait beaucoup plus gros.

Plus précisément, l'équation montre qu'il ne se forme pas de motif si l'embryon est très petit, qu'il se forme un motif rayé si l'embryon est un peu plus gros, un motif tacheté s'il est encore plus gros, et aucun motif s'il est trop gros. Voilà pourquoi la souris et l'éléphant n'auraient pas de motif.

De plus, à surfaces égales, la forme fait une différence. Ainsi, si on considère une certaine surface assez grosse pour permettre la formation de taches et qu'on lui donne une forme cylindrique et longue (comme une queue) sans changer son aire totale, alors les taches se transforment en rayures !

Ainsi, un unique système d'équation semble gouverner tous les motifs de pelage qu'on retrouve dans la nature. Le même genre d'équation permet aussi d'expliquer les motifs des ailes de papillon, ainsi que certains motifs colorés des poissons exotiques. Mentionnons toutefois que les processus de diffusion chimique dont nous venons de parler (appelés mécanismes de réaction-diffusion) n'ont pas encore été directement observés sur la peau des animaux, bien que certaines évidences indirectes semblent confirmer leur présence. Les substances chimiques en question se trouveraient en effet dans l'épiderme ou juste en dessous, et il est très difficile de les détecter expérimentalement. Pour l'instant donc, ce modèle reste un modèle, bien que de plus en plus de preuves indirectes semblent le confirmer. De toute façon, qu'un même modèle réussisse à expliquer presque toute la diversité et la richesse des motifs des animaux est sûrement le signe qu'il contient une bonne part de vérité.

Le nombre de pétales des fleurs

Pourquoi le nombre de pétales des fleurs est-il souvent un des nombres suivants : 3, 5, 8, 13, 21, 34 ou 55 ? Par exemple, les lis ont 3 pétales, les boutons d'or en ont 5, les chicorées en ont 21, les marguerites ont souvent 34 ou 55 pétales, etc. Par ailleurs, lorsqu'on observe le coeur des tournesols on remarque deux séries de courbes, une enroulée dans un sens et une dans l'autre; le nombre de spirales n'étant pas le même dans chaque sens. Pourquoi le nombre de spirales est-il en général soit 21 et 34, soit 34 et 55, soit 55 et 89, ou soit 89 et 144 ? Même chose pour les pommes de pin : pourquoi ont-elles 8 spirales d'un côté et 13 de l'autre ? Et finalement, pourquoi le nombre de diagonales d'un ananas est-il aussi 8 dans une direction et 13 dans l'autre ?

Ces nombres sont-ils le fruit du hasard ? Non ! Ils font tous partie de la suite de Fibonacci : 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, 89, 144, etc., où chaque nombre s'obtient à partir de la somme des deux précédents. Depuis longtemps on avait remarqué que ces nombres étaient importants dans la nature, mais c'est seulement depuis peu qu'on comprend pourquoi. C'est une question d'efficacité dans le processus de croissance des plantes. L'explication est néanmoins un peu compliquée et on ne la présentera pas ici. Contentons-nous de mentionner qu'elle est reliée à un autre nombre fameux, le nombre d'or, lui-même intimement lié à la forme spirale de certains coquillages. Mentionnons aussi que, dans le cas du tournesol, de l'ananas et de la pomme de pin, la correspondance avec les nombres de Fibonacci est très exacte, tandis que dans le cas du nombre de pétales des fleurs, elle est plutôt vérifiée en moyenne; et dans certains cas le nombre est doublé, car les pétales sont disposés sur deux rangées.

L'ADN n'est donc pas tout ! Contrairement à ce qu'on a longtemps pensé, beaucoup de caractéristiques du monde vivant ne sont pas codées dans les gènes, mais résultent de processus mathématiques à l'ouvre durant la phase de croissance des organismes. Bref, les mathématiques sont partout autour de nous.

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