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La géométrie de l'univers

L'univers est né il y a environ 15 milliards d'années d'un état initial très dense et très chaud qu'on appelle le big bang. Depuis ce moment, il est en expansion. Mais quel sera son destin? Son expansion se poursuivra-t-elle indéfiniment ou non? Depuis Einstein, on sait que la réponse à cette question est reliée à la géométrie de l'espace-temps.

Il y a trois évolutions futures possibles à l'expansion actuelle de l'univers. Soit l'expansion se poursuivra indéfiniment et l'univers existera éternellement. Soit l'expansion s'arrêtera un jour, et alors l'univers se recontractera pour éventuellement mourir en retournant à son état initial. Soit la situation sera exactement intermédiaire: l'expansion s'arrêtera, mais seulement dans un temps infini, et il n'y aura pas de recontraction. Ces trois destins possibles correspondent aux trois types de géométrie courbes possibles.

La relativité générale d'Einstein, qui améliore et remplace la théorie de la gravitation de Newton, décrit la force de gravité comme le résultat d'une courbure de l'espace (ou plus précisément, de l'espace-temps). Le soleil, par exemple, déforme l'espace autour de lui et les planètes tournent autour parce qu'elles suivent les courbures de l'espace, un peu comme des billes tournant dans un bol. En plus des courbures locales causées par la présence de matière ici et là, l'univers est aussi courbé globalement, c'est-à-dire dans son ensemble. Il y a trois possibilités associées aux trois géométries possibles: 1) la géométrie plane, par exemple un plan; 2) la géométrie à courbure positive, par exemple la surface d'une sphère; 3) la géométrie à courbure négative, par exemple la surface d'une selle de cheval (la région où l'on s'assoit). Dans le modèle cosmologique le plus simple, ces trois géométries correspondent aux trois destins possibles de l'univers: une courbure positive de l'espace implique que l'expansion s'arrêtera et qu'il y aura recontraction de l'univers; une courbure négative implique que l'expansion ne s'arrêtera jamais; une courbure nulle (c'est-à-dire la géométrie plane) correspond à la situation intermédiaire, une expansion qui s'arrête après un temps infini.

Parmi ces trois géométries, celle à courbure négative (appelée hyperbolique) est la plus difficile à se représenter. On peut en dessiner une partie (comme la selle) mais il est impossible de la dessiner complètement (si la courbure est constante), pourtant elle existe! (Les deux autres sont facilement représentables: une sphère et un plan infini.) Les mathématiciens ont donc imaginé toutes sortes de façons de contourner cette difficulté de visualisation. Une de ces façons a été utilisée par Escher dans son œuvre représentée sur l'affiche (intitulée Cercle Limit III). Attention, ce dessin n'est pas la projection d'un simple hémisphère sur un plan; c'est la projection d'une surface infinie, à courbure négative, dans un disque. La circonférence du cercle doit être considéré comme ayant une longueur infinie et comme représentant la frontière infiniment lointaine de l'espace. De plus, les lignes courbes sur le dessin correspondent aux lignes "droites" dans l'espace, c'est-à-dire aux plus courts chemins entre deux points. Ce résultat surprenant est possible parce que l'échelle du dessin varie selon l'emplacement dans le disque. Autrement dit, un centimètre sur le bord du disque et un centimètre proche du centre ne correspondent pas à la même distance: plus le centimètre est proche du bord, plus il vaut une grande distance; et en particulier, un centimètre le long de la circonférence correspond à une distance infinie. C'est d'ailleurs pourquoi les poissons rapetissent à mesure qu'on se rapproche du bord: ils sont en réalité tous de la même grosseur, mais puisque l'échelle varie du centre vers le bord, ils apparaissent de plus en plus petits. En fait, l'explication complète de cette représentation d'Escher demanderait un texte beaucoup plus long.

Stéphane Durand