Le pelage des animaux

On connaît depuis longtemps l'importance des mathématiques dans certains domaines, comme la physique, mais depuis peu on découvre aussi tout leur pouvoir en biologie et en botanique. Des phénomènes que l'on croyait être dus au hasard ou à l'action des gènes se révèlent être la conséquence d'une dynamique mathématique. L'exemple peut-être le plus spectaculaire est celui du motif du pelage des animaux.

Pourquoi le pelage de certains animaux est-il tacheté (léopard) tandis que celui d'autres est rayé (tigre, zèbre)? Pourquoi les taches de la girafe sont-elles plus grosses et différentes de celles du léopard? Pourquoi certains animaux, comme la souris et l'éléphant, n'ont-ils pas de motif? Pourquoi y a-t-il des animaux à corps tacheté et queue rayée (guépard, jaguar, léopard, genette) mais pas l'inverse, c'est-à-dire pas d'animaux à corps rayé et queue tachetée?

Toutes ces questions ont aujourd'hui une réponse mathématique. Le modèle en question décrit la façon dont réagissent et se propagent sur la peau deux produits chimiques différents: un qui colore la peau et un qui ne la colore pas; ou plus précisément, un qui stimule la production de mélanine (colorant la peau justement) et un qui inhibe cette production.

Ce qui est remarquable, c'est que les équations montrent que les différents motifs de pelage dépendent seulement de la grosseur et de la forme de la région où ils se développent. Autrement dit, la même équation de base explique tous les motifs. Mais alors, pourquoi le tigre et le léopard ont-ils des motifs différents puisque leurs corps sont similaires? Parce que la formation des motifs ne se produirait pas au même moment durant la croissance de l'embryon. Dans le premier cas l'embryon serait encore petit et dans l'autre il serait rendu beaucoup plus gros.

Plus précisément, les équations montrent qu'il ne se forme pas de motif si l'embryon est très petit, qu'il se forme un motif rayé si l'embryon est un peu plus gros, un motif tacheté s'il est encore plus gros, et pas de motif non plus s'il est trop gros. Voilà pourquoi la souris et l'éléphant n'auraient pas de motif.

De plus, à surfaces égales, la forme de la surface fait une différence. Ainsi, si on considère une certaine surface assez grosse pour permettre la formation de taches et qu'on lui donne une forme cylindrique et longue (comme une queue) sans changer son aire totale, alors les taches se transforment en rayures!

Ainsi, un unique système d'équations semble gouverner tous les motifs de pelage qu'on retrouve dans la nature. Le même genre d'équations permet aussi d'expliquer les motifs des ailes de papillons ainsi que certains motifs colorés des poissons exotiques. Mentionnons toutefois que les processus de diffusion chimique dont nous venons de parler (appelés mécanismes de réaction-diffusion) n'ont pas encore été directement observés sur la peau des animaux, bien que certaines évidences indirectes semblent confirmer leur présence. Les substances chimiques en question se trouveraient en effet dans l'épiderme ou juste en dessous, et il est très difficile de les détecter expérimentalement. Pour l'instant, donc, ce modèle reste un modèle, bien que de plus en plus de preuves indirectes semblent le confirmer. De toute façon, qu'un même modèle réussisse à expliquer presque toute la diversité et la richesse des motifs des animaux est sûrement le signe qu'il contient une bonne part de vérité.

Stéphane Durand

Références:

J. D. Murray, Mathematical Biology, Springer-Verlag, 1993, 767 pages

J. D. Murray, Les taches du léopard, Pour la Science, mai 1988, p. 78

J. D. Murray, How the leopard gets its spots, Scientific American, 1988, p. 80